So come over now and talk me down (Charlie)

Une journée normale qui avait malheureusement mal commencé, premièrement par la gueule de bois qui l'avait presque attaqué dès le matin, le goût amer de whisky toujours dans le fond de la gorge. Les yeux semi ouverts, il se déplaçait dans son studio comme un mort vivant, sans même regarder où il marchait, simplement par pure connaissance de l’endroit. Il enfile ses vêtements en un claquement de doigts, sans faire attention à ce qu’il choisissait de porter, déjeuna, les yeux semi clos. Il sort enfin, les lacets défaits, faisant cliqueter ses dés dans le creux de sa main, écoutant le son qu’ils produisaient en faisant abstraction de tout ce qui se passait autours. Il traîne des pieds, le regard vitreux, son sac rouge flamboyant sur le dos, un bonnet de travers. Il tripote les cartes dans ses poches, les tortillant dans tous les sens, les pliants de tous les côtés, ne réalisant pas son action, sachant que ce n’était rien à part son seul paquet de cartes. Il marche, frôle des gens aux parfums qui réveillent son odorat, presque endormi. Sa tête tourne, il se bat pour garder les yeux ouverts, ayant le sentiment de tomber dès qu’il les fermes, de tournoyer vers les plus profonds abysses de son esprit. Il ne fait pas attention aux personnes qu’il bouscule, mais dès lors que l’une d’elles l’interpelle, il débloque, se concentre sur lui et essaye de retracer la scène qui venait d’arriver, pour trouver les mots à lui lancer. " Désolé, j’ai pas fait attention. " Puis son regard croise celui de cette personne qu’il a bousculé, bien que le qualifier de personne serait un affront à sa beauté sans égal, qui fut ici capable d’égayer sa journée, son année peut être, de lui rappeler qu’il reste des choses capables de l’éclairer en cette journée grisâtre. Il avait des yeux innocents, d’un vert qui intéressait Charlie, mais avait pourtant une mâchoire structurée de telle manière qu’elle redonnait du caractère à son visage, le rendait dur, sérieux, âgé. La singularité de son simple regard avait hypnotisé le jeune homme, puis ces lèvres framboise, rondes, fines, toutes les couleurs présentes sur son visage suffisaient pour réveiller l’esprit avant éteint de Charlie. Il connaissait cette personne. Il l’avait déjà vu, peu importe l’endroit, il avait déjà été béni de sa présence, de l’infime effort qu’il pouvait faire pour venir à sa rencontre. Il voulait le chérir, caresser ces boucles chocolatées, embrasser chaque petite parcelle de son corps, l’aimer, ne plus le quitter. Il l’idolâtrait, dès le premier regard. Il inspira son odeur, tentant de se forger un souvenir de cet inconnu qu’il ne recroisera sûrement plus après, retenant chaque trait de son visage, chaque mouvement. Ce garçon-là méritait un nombre incalculable de peintures à son effigie, des statues, des pièces en marbre que l’on aurait forgé pour représenter ses simples lèvres. Charlie pourrait passer des heures à peindre un de ses yeux, sa forme, sa couleur, il passerait une vie entière à retracer la parfaite forme, à retranscrire chaque détail, à perfectionner son œuvre pour avoir un souvenir qu’il garderait avec lui jusque dans la tombe de cette personne pourtant inconnue. Il ne pouvait pas. Il n’avait pas le temps. Mais puisque le temps n’existait pas, ne pouvait-il pas simplement s’en aller avec cette personne, voguer vers l’inconnu, s’aventurer dans des terres jusqu’à lors jamais visitées, construire petit à petit son havre de paix humain rien qu’avec cette petite personne. Tout cela ne tenait qu’à un fil. L’inconnu pouvait très bien ne pas être intéressé, vouloir s’en aller, être pressé, avoir une notion du temps exquise et ne pas vouloir déblatérer sur ce qui existe ou non, ne pas vouloir être un objet de musée, ne pas désirer être la muse de quelqu’un ou être son inspiration. Tout ce dont rêvait Charlie était que cet inconnu l’emmène avec lui dans son monde, qu’ils s’envolent ensembles et ne redescendent jamais, qu’ils vivent grâce à la présence de l’autre. " Kilyan ? C’est très beau, de quelle origine ? Je suis Charlie. Je vais peut-être avoir l’air de vous draguer pitoyablement, mais ne nous sommes pas déjà vus quelque part, dans une librairie plus précisément ? Mais par-dessus tout, m’accorderiez-vous -je peux vous tutoyer ? – le temps de quelques minutes pour aller boire quelque chose, du thé ? Pour faire ce qui pourrait être plus ample connaissance ? " Après avoir fini de déblatérer, d’élancer ses jolis mots, de lui balancer une ribambelle d’informations à la figure dans le mauvais ordre, d’énumérer des points importants de son monologue, il reprit son souffle, qui lui était coupé depuis le premier regard qu’il avait lancé à l’inconnu, par pur réflexe. Il continua de l’observer, cherchant une échappatoire, un moyen d’évasion, cherchant à ne pas faire face à la réponse qui l’attendait, sûrement négative. Le silence n’annonçait rien de bon, et il resta à ne rien faire longuement, faisant cliqueter les dés dans ses poches nerveusement.